Quand la tour Eiffel était un objet de discorde

Mercredi 16 août 2023

Modifié le : 19/09/23

Avant sa construction et durant les 20 premières années de son existence, la tour Eiffel a déchaîné les passions !

Si la silhouette de la Dame de Fer dans Paris est devenue aujourd’hui une évidence, il a fallu à Gustave Eiffel une combativité sans faille pour imposer puis faire aboutir son projet de tour métallique de 300 mètres de haut, celle qui deviendra la tour Eiffel ! Alors que nous rendons hommage en 2023 à Gustave Eiffel, à l’occasion du centenaire de sa mort, nous vous racontons ici les combats qu’il a menés pour sa Tour, cible de bien des polémiques et controverses avant même sa construction. 

"Eiffel, toujours plus haut" : venez découvrir l’incroyable course à la hauteur dont Gustave Eiffel fut l’un des principaux protagonistes à la fin du 19ème siècle en parcourant une exposition gratuite sur le parvis de la tour Eiffel (accessible gratuitement à tous, sans billet), conçue par Savin Yeatman-Eiffel, descendant de Gustave Eiffel. De juin à décembre 2023.

Les rivalités pour l’Exposition Universelle de 1889

Le choix du projet de tour métallique porté par Gustave Eiffel n’était pas évident. Quelques années avant l’Exposition Universelle de 1889, germe l’idée de construire une tour colossale qui aura vocation à être l’attraction principale d’une Exposition aux enjeux essentiels pour la France : célébrer le centenaire de la Révolution française, fédérer la population et exposer aux yeux du monde entier l’excellence française en matière d’ingénierie et de maîtrise industrielle. Et Eiffel a un rival de taille : Jules Bourdais. Cet architecte très respecté est à l’apogée de sa gloire : il avait gagné le concours avec Gabriel Davioud pour construire le Palais du Trocadéro (aujourd’hui détruit puis remplacé par le Palais de Chaillot) qui fut le clou de l’Exposition Universelle de 1878. 

Jules Bourdais présente un projet concurrent de tour monumentale de 370m de haut, en granit et porphyre, surplombée d’un phare surpuissant, nommée la Colonne Soleil. 

Tout oppose les deux projets : la pierre contre le fer ; un architecte contre un ingénieur ; un classique contre un moderne… L’affrontement se jouera par voie de presse, Eiffel et Bourdais mobilisent leurs partisans respectifs. Très tôt, Gustave Eiffel met l’accent sur sa capacité à construire sa tour dans des délais réalistes et à un coût maîtrisé. Il avance aussi l’argument patriotique et utilitaire : la tour "rendra des signalés services à la science et à la défense nationale". 

Jules Bourdais ne se prive pas non plus de faire publicité de son projet dans la presse. Mais il manque de crédibilité : est-il réellement possible et financièrement raisonnable de construire un tour en pierre si haute ? Rien n’est moins sûr.

Pourtant, en 1886, la victoire de Jules Bourdais, soutenu par le nouveau Président du Conseil Charles de Freycinet, semble proche. Mais Gustave Eiffel n’a pas dit son dernier mot... Il se tourne vers le nouveau ministre du Commerce en charge de mettre sur pied l’Exposition Universelle de 1889, Edouard Lockroy. Guère convaincu par le projet de Jules Bourdais, ce dernier se range aux arguments de Gustave Eiffel qui indique de plus qu’il financera l’intégralité de son projet contre une concession d’exploitation.

Le ministre lance le 1er mai 1886 un concours pour l’aménagement de l’Exposition. Les concurrents sont, entre autres, invités à "étudier la possibilité d’élever sur le Champ de Mars une tour de fer à base carrée de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur". Il semble bien que ce programme soit taillé sur mesure pour le projet de Gustave Eiffel. Jules Bourdais, pris de court, participe en remplaçant la pierre par le fer pour sa Colonne Soleil. Le projet de Gustave Eiffel et de son architecte Stephen Sauvestre finit par remporter le concours pour la construction de la tour de 300 mètres.

La protestation des artistes au début de la construction

Gustave Eiffel ne sera pas au bout de ses peines. Et dès que le concours est gagné, son projet subit de nombreuses attaques. De la part des architectes d’abord, ulcérés de voir un ingénieur choisi pour un tel projet. Et puis, c’est au tour du monde artistique parisien de s’en donner à cœur joie au début du chantier de construction.  Le 14 février 1887 parait la célèbre "Protestation contre la Tour de M. Eiffel" dans le journal Le Temps, demandant au responsable des travaux de l’Exposition de tout arrêter. Le texte est signé par les grands noms du monde artistique et littéraire : le compositeur Charles Gounod, l’écrivain Guy de Maupassant, l’écrivain Alexandre Dumas fils, le poète François Coppée, mais aussi par des architectes classiques comme Charles Garnier, celui qui conçut l’Opéra Garnier.

"Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d'esprit de justice, a déjà baptisée du nom de tour de Babel."

Diatribe à laquelle répond Gustave Eiffel sans attendre : "je crois, pour ma part, que la Tour aura sa beauté propre […] Est-ce que les véritables conditions de la force ne sont pas toujours conformes aux conditions secrètes de l’harmonie ? […] Or de quelles conditions ai-je eu, avant tout, à tenir compte dans la Tour ? De la résistance au vent. Eh bien ! je prétends que les courbes des quatre arêtes du monument, telles que le calcul les a fournies […] donneront une grande impression de force et de beauté. […] Il y a du reste dans le colossal, une attraction, un charme propre."

Lire l’intégralité du texte et de la réponse de Gustave Eiffel dans le journal « Le Temps » sur le site de Gallica BNF  

A noter que l’ingénieur fera aussi lui-même l’objet de nombreuses caricatures dans la presse de l’époque.

 

Les Parisiens n’aimaient pas la tour Eiffel ?

La construction de cette gigantesque tour en fer en plein Paris suscite des avis contrastés chez les Parisiens, au départ quelque peu dubitatifs à propos de l’esthétique de la Tour en cours de construction. L’influence des artistes, qui ne se privent pas de critiques, alimente également la défiance des habitants de la capitale française : "ce squelette de beffroi" (Paul Verlaine) ; "ce lampadaire véritablement tragique" (Léon Bloy) ; "le mât de fer aux durs agrès" (François Coppée)…

Le célèbre écrivain Guy de Maupassant parle d’un "squelette disgracieux et géant […] qui avorte en un ridicule et mince profil de cheminée d’usine". Une fois construite, il sembla continuer d’assumer son aversion pour la Dame de fer : ainsi avait-il déclaré venir souvent déjeuner au 1er étage de la tour Eiffel, car c’était le "seul endroit de la ville où je ne la vois pas". 

Cependant la soi-disant détestation des Parisiens à l’égard de la Tour n’a que peu de fondements, mis à part les inquiétudes des riverains du Champ de Mars pour leurs maisons. Un conseiller de Paris habitant dans le voisinage intentera un procès à Gustave Eiffel, qui, pour éviter de bloquer les travaux, se déclarera prêt à assumer personnellement tous les risques et à dédommager les riverains en cas d’accident. Ce qui n’arriva pas !

La Tour ouvre au public le 15 mai 1889 et connaît d’emblée un grand succès populaire : les publics, français et étrangers, lui réservent un accueil triomphal, dégonflant aussitôt toutes les précédentes polémiques. Quelques artistes détracteurs feront même amende honorable. Et la Tour est définitivement adoptée dans le cœur des Parisiens, fiers de ce symbole de modernité. Elle est ainsi devenue l’emblème de Paris.

Les derniers combats de Gustave Eiffel pour pérenniser sa Tour

Si le monde entier nous envie la tour Eiffel, certains détracteurs ont la rancune tenace, parmi lesquels l’architecte Charles Garnier. En 1894, un nouvel appel à projets -rédigé en partie par ce dernier- est lancé en vue de l’Exposition Universelle de 1900 qui se tiendra à nouveau à Paris. Il est donné aux candidats toute liberté pour modifier voire détruire la tour Eiffel ! Aucun projet - dont certains s’avèrent particulièrement farfelus - ne sera sélectionné et la Tour restera intacte au cœur des nouvelles et spectaculaires installations en 1900.

La tour Eiffel pendant l'Exposition universelle de 1900

Alors que la Tour n’est censée durer que 20 ans, grâce à la concession d’exploitation détenue par Gustave Eiffel (jusqu’au 31 décembre 1909), le danger se rapproche, d’autant que la fréquentation du monument est en baisse. En 1903, la démolition est sérieusement étudiée, la mairie de Paris désirant réaménager le Champ de Mars. Finalement la décision de la détruire ne sera pas prise, mais Gustave Eiffel active, finance et valorise l’ensemble des expériences scientifiques qui ont lieu à la Tour : observation météorologique, télégraphie sans fil, chute des corps et aérodynamique… C’est donc bien l’intérêt scientifique de la plus haute tour du monde qui la sauvera de la destruction. Et surtout son intérêt stratégique : en 1903, le capitaine Gustave Ferrié installe, grâce au soutien d’Eiffel, un réseau militaire de télégraphie sans fil, une technique de communication en plein essor. La portée des signaux de la TSF s’étend d’année en année, et l’intérêt stratégique de la station de la tour Eiffel devient évidente dès qu’elle est en mesure d’émettre et recevoir des signaux à longue distance.

Le 1er janvier 1910, la concession accordée à Gustave Eiffel est renouvelée pour 70 ans. La tour Eiffel est définitivement sauvée !

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